Short Cuts

Robert Altman - Le grand cirque

Un ballet d'hélicoptères dans le ciel de Los Angeles. Des hommes casqués, en guerre contre une myriade d'insectes. Une "sex-ophoniste" très sollicitée et un mari qui n'en profite guère. Une chanteuse de jazz et ses amours passées. Sa fille, violoncelliste solitaire. Un suicide. Un chirurgien jaloux et une artiste peintre frustrée. Un flic cavaleur, une femme, des enfants. Un chien dont on n'arrive pas à se défaire…

Raymond Carver n’aura jamais écrit de roman. C’est dans les nouvelles et les poèmes qu’il exerça remarquablement son art de la concision et du brut, de l’observation de ses semblables dans leur quotidien banal. En quelques phrases, il décrivait les laissés-pour-compte de l’American way of life, les infortunés de la réussite, ceux que guette une omniprésente « menace sourde ». À travers des récits elliptiques, il a saisi des moments de vérités, aussi minuscules soient-ils, leur donnant une dimension vertigineuse. Cette vie de middle-class faite de petits boulots a été la sienne, ces personnages qu’il regarde avec compassion étaient ses contemporains.

Deux ans après la mort de l’écrivain, Robert Altman découvre son œuvre et dévore, le temps d’un vol de plusieurs heures, toutes ses nouvelles, comme autant de chapitres d’un roman. Pour lui, c’est un tout. C’est ainsi qu’il décide de réaliser une adaptation de neuf nouvelles et un poème en prose, entremêlant avec maestria les histoires, les personnages, comme dix tranches de vie, saisies dans l’action, sans début, sans fin. Le cinéaste pose un regard extérieur sur ses protagonistes, ne donne pas d’avis personnel. Sans doute est-il un peu moins acide qu’à son habitude, s’approchant – avec réserve – de la patte de Carver. Altman excelle dans ce film polyphonique, et sera récompensé du Lion d’or à la Mostra, tandis que l’ensemble du casting, collégialement, recevra une coupe Volpi spéciale.

Si la fidélité de Short Cuts à l’esprit carverien a été largement questionnée, Tess Gallagher, poétesse, autrice et veuve du nouvelliste, concluait auprès de Mitchell Zuckoff : « Je ne pense pas que Bob se moquait des personnages. Je crois qu’il les observait et les autorisait à être aussi bizarres que possible. […] Ce que ces gens cherchent ne va pas les satisfaire. […] Aucune de leurs actions ne rendra le milieu dans lequel ils sont plus respirable. Ils sont juste bons à créer des désastres. Le chaos des personnages de Ray ne laissait pas penser qu’il n’y avait pas de possibilités. Leur souffrance était manipulée de telle sorte que l’on pouvait la respecter. Je pense que Short Cuts est un classique, un film classique américain, un vrai portrait de l’Amérique comme si on se regardait dans un miroir. » (in Robert Altman, une biographie orale, G3J, 2011)