Nous sommes tous des voleurs

Robert Altman - Le grand cirque

Dans les années 30, État du Mississippi. Trois détenus évadés d’un pénitencier, Chicamaw (John Schuck), T-Dub (Bert Remsen) et Bowie (Keith Carradine), condamné pour meurtre, trouvent refuge dans le garage tenu par Mobley, le frère de Chicamaw. Très vite, la fille de Mobley, Keechie (Shelley Duvall), et Bowie tombent amoureux.

Lorsqu’il porte à l’écran le roman Thieves Like Us d’Edward Anderson, Robert Altman connaît la première adaptation réalisée en 1948 par Nicholas Ray, Les Amants de la nuit, superbe film s’attachant à la destinée du couple en cavale. Vingt-cinq ans plus tard, alors que la mode est aux films sur les années 30 et aux héros légendaires comme Bonnie Parker et Clyde Barrow, le cinéaste décide de voir plus large. En restant tout aussi fidèle au roman, c’est le portrait de l’Amérique de la Grande Dépression et de ses "petites gens" qui l’intéresse. Pas de romanesque, pas d’épopée, mais la vie quotidienne de braqueurs sans envergure, la survie en temps de crise, le braquage comme une solution valable.

Altman inscrit son film dans une époque, sans la reconstituer à grand renfort d’accessoires. Ce qui lui importe, c’est le background. Ici la radio est un personnage à part entière. Elle illustre l’histoire de Bowie et Keechie (les Roméo et Juliette), commente et glorifie les hors-la-loi victimes de la société. Car si tous évoluent dans le plus grand dénuement, le capitalisme s’établit au quotidien, la publicité s’immisce partout. Ainsi ce n’est pas le destin qui frappe le jeune couple, mais la société qui leur a fait miroiter une vie idéalisée. Aucune revanche, mais une fatalité glauque. « Nous savons qu'ils n'ont pas la moindre chance ; Altman le sait aussi, mais il refuse qu'on leur nie toute humanité. » (Kevin Thomas, Los Angeles Times, 4 avril 1974, in Robert Altman, une biographie orale, Mitchell Zuckoff, G3J, 2011)

« Le film est harcelant et familier, poétique mais résigné, il constate plus qu'il n'accuse, il ressemble aussi peu à une œuvre engagée qu'à un "thriller" des années Warner ou à un exposé sociologique. Plus encore que les autres, il échappe aux catégories, comme aux contre-catégories. C'est un reportage lyrique comme en fit James Agee sur le Dust Bowl, comme en fit Strand sur le Mexique, mais avec ce génie de l'inattendu, ce refus des "scènes à faire", cette magie de l’éclairage individuel qui caractérisent le metteur en scène le plus inclassable de l'actuel renouveau américain. » (Robert Benayoun, Positif n°155, janvier 1974)