Lisbonne Story

Prix Lumière : Wim Wenders

Phillip Winter (Rüdiger Vogler), ingénieur du son, part au Portugal rejoindre son ami cinéaste Friedrich (Patrick Bauchau), qui l'appelle au secours. À Lisbonne, point de Friedrich. Dans la grande maison qu'il habitait, le cinéaste n'a laissé qu'un film inachevé. Phillip décide alors de mettre du son sur les images muettes et part à la recherche de son ami.

 Rüdiger Vogler dans Lisbonne Story (Allemagne/Portugal 1994) de Wim Wenders
© Wim Wenders Stiftung 2019

« Au cinéma, la caméra peut fixer un moment, mais ce moment est déjà passé. Le cinéma garde la trace d’un fantôme de ce moment. Nous ne sommes plus certains que ce moment a existé en dehors de la pellicule. Or la pellicule garantit-elle l’existence de ce moment ? Je ne sais pas. Là-dessus, j’en sais de moins en moins. En fin de compte, nous vivons dans un doute permanent. » Ce doute permanent dont parle Manoel de Oliveira dans Lisbonne Story est peut-être aussi celui de Wim Wenders, s’interrogeant sans cesse sur l’état du cinéma, de la création, via ses fictions et ses documentaires.

Retrouvant le Portugal de L’État des choses, ainsi que son acteur Patrick Bauchau, mais aussi son complice Rüdiger Vogler, Wenders filme de nouveau le cinéma. Friedrich a enregistré des images de Lisbonne avec une vieille caméra à trépied, celle de Buster Keaton dans Le Caméraman. Il veut travailler comme à l’époque du muet, oublier les évolutions technologiques. Mais tétanisé, il ne peut poursuivre son film. Winter arrive alors pour mettre un son sur des rushes magnifiques. Déambulant dans Lisbonne à la recherche des traces laissées par Friedrich, il vit aventures et rencontres, tout en captant les rumeurs de la ville, la mélancolie ambiante, dans un temps suspendu où l’absence est sensible.

Film libre, spontané, écrit au fil du tournage, Lisbonne Story se nourrit de la ville, de sa lumière, de ses couleurs : à travers les yeux de Winter, Wenders regarde ce qui l’entoure. « Sans doute les toutes premières images captaient-elles les réalités du monde de la façon la plus objective possible. Les premiers films "voyaient" pour nous. Aujourd’hui que les images ont envahi le monde, se pose la question de leur nature. Comment nier le point de vue de celui qui les fabrique ? […] Mais on ne peut pas non plus retrouver l’innocence perdue. Passé le premier film, le cinéaste sait qu’il n’est plus innocent ; pareil pour le spectateur. […] Peut-être aussi que l’innocence n’est pas cette valeur suprême à laquelle chacun croit… […] Pourquoi le cinéma devrait-il la conserver ? Il lui reste la tendresse et la curiosité. » (Wim Wenders)