Les Sœurs Munakata

Ozu rares et inédits

Setsuko (Kinuyo Tanaka) et Mariko Munakata (Hideko Takamine) sont des sœurs que tout oppose. L’extravertie Mariko profite de sa jeunesse et de sa liberté, tandis que Setsuko travaille d’arrache-pied pour entretenir son mari Mimura (So Yamamura), taciturne et alcoolique. En visite chez leur père, Mariko sympathise avec Hiroshi (Ken Uehara), un ancien prétendant de sa sœur. La jeune femme est convaincue que Setsuko et Hiroshi éprouvent encore des sentiments l’un pour l’autre et va tout faire pour les rapprocher…

 
© 1950 TOHO CO., LTD. TOUS DROITS RÉSERVÉS.

Des sœurs très différentes, dont l’une mariée, le retour d’un amour de jeunesse… Le propos n’est pas sans rappeler La Lune s’est levée, réalisé par Kinuyo Tanaka cinq ans plus tard. Et pour cause : le scénario avait été offert à la cinéaste, par ailleurs une de ses fidèles actrices, par Yasujiro Ozu.

Dans Les Sœurs Munakata, Kinuyo Tanaka interprète la sœur aînée, Setsuko. Portant le kimono, silencieuse, elle est soumise à son époux. Sa cadette, Mariko (Hideko Takamine), est émancipée, impétueuse. Les traditions l’ennuient. C’est ainsi la confrontation entre deux mondes, l’ancien et le moderne. Car comme le dit l’un des personnages, « la guerre a changé beaucoup de choses ». Dans cette chronique pudique sur une famille sans histoires dans l’immédiat après-guerre, Ozu filme à "hauteur de femme". Il sonde les conflits intérieurs de chacune, la réconciliation, et les voies différentes choisies. Le fossé entre les deux sœurs se réduit.

Ozu révèle de nouveau son art de la composition. Toujours tourné en plans fixes, à l’exception de quelques rares et courts travellings, le film bénéficie d’un montage d’une absolue maîtrise qui lui donne tout son rythme, sans entacher sa lenteur poétique.

Les Sœurs Munakata est l’une des rares adaptations littéraires réalisées par Ozu. Il s’agit ici d’un roman de Jiro Osaragi (1897-1973), auteur populaire dont nombre d’histoires ont été publiées en feuilleton dans les journaux et magazines. Des années après ce film, Ozu évoquera son rapport au travail d’adaptation : « À parler franc, j’ai de la peine à adapter un roman au cinéma. Vous êtes forcés de retravailler sur les traces de l’auteur, et vous devez choisir quelqu’un capable de jouer un rôle déjà créé de toutes pièces. Quand j’écris, j’ai en tête dès le début un acteur qui se glissera dans le rôle, et qui m’aide à le créer. Mais en ce qui concerne [Les Sœurs Munakata], je n’ai éprouvé aucune difficulté à le faire. » (Yasujiro Ozu cité par Donald Richie in Ozu, Lettre du blanc, 1980)