Les Grandes Familles

Denys de La Patellière

Noël Schoudler (Jean Gabin) est un magnat de l’industrie et de la presse, un de ceux qui font et défont les ministères. Issu d’une souche paysanne laborieuse, il a épousé une La Monnerie, de famille aristocratique, et a une confiance absolue dans le pouvoir de l’argent. Revenant d’un voyage d’affaires, Noël découvre que son fils François (Jean Desailly), a profité de son absence pour apporter un certain rajeunissement à la tradition un peu routinière du journal paternel.

Après Thérèse Étienne (1958), avec Françoise Arnoul, Les Grandes Familles marque la grande rencontre entre Denys de La Patellière et Jean Gabin, première d’une longue série de collaborations. En adaptant le premier tome de la saga romanesque de Maurice Druon La Fin des Hommes, Prix Goncourt 1948, il offre à l’acteur un emploi peu habituel, comme l’avait fait deux ans plus tôt Gilles Grangier avec celui de François Cardinaud, l’armateur du Sang à la tête. Accompagné dans l’écriture du scénario par Michel Audiard, le cinéaste décide de recentrer l’intrigue sur le personnage de Noël Schoudler et de situer l’action dans les années 50 plutôt que dans les années 20, comme dans le roman.

Qualifié par certains d’irrévérencieux, le film porte un regard féroce sur les grandes familles bourgeoises secrétées et nourries par le capitalisme. La Patellière continue d’exceller dans la peinture d’un milieu et aborde un thème qui lui est cher et que l’on retrouvera dans une grande partie de sa filmographie : la révolte de la jeunesse contre le patriarcat fortuné et imbu de son pouvoir.

« Les Grandes Familles marquait la première apparition de Gabin en patriarche autocrate, un emploi qu'il reprendrait un peu plus de dix ans plus tard dans Le Clan des Siciliens, en truand usé régnant sans merci sur sa tribu. Le film de Denys de La Patellière met sans doute en scène l'une des relations père/fils les plus tragiques de l'histoire du cinéma français, l'une des plus archétypales aussi, où le premier cherche à tuer le second, pour éviter de contempler son propre déclin. Cela nous ramène à une part fondamentale de l'identité de Gabin à l'écran : un homme qui aura refusé le statut de père, si ce n'est de substitution ― Belmondo dans Un singe en hiver, Delon dans Mélodie en sous-sol ― pour incarner une solitude minérale, un anarchisme serein, une marginalité assumée. Un acteur qui aura presque tourné le dos aux grandes familles. » (Samuel Blumenfeld, M Le Magazine du Monde, 9 octobre 2019)