Le Figurant

Sublimes moments du muet

Le festival Lumière pour les enfants

Elmer (Buster Keaton) voue une véritable passion à la comédienne Trilby Drew (Dorothy Sebastian), mais celle-ci n’a d’yeux que pour son partenaire Lionel Denmore (Edward Earle), qui lui, court après Ethyle (Leila Hyams). Afin d’approcher sa belle, Elmer se fait engager comme figurant dans la pièce qu’elle interprète et qu’il a déjà vu trente-cinq fois…

1929, l’heure est au parlant. Buster Keaton, monstre sacré du comique muet, ne serait pas hostile au sonore, mais la MGM hésite : ce n’est pas encore l’heure pour l’artiste de prendre ce grand virage. Pour Jean-Pierre Coursodon, « il est incontestable que la nouvelle conception du comique imposée à partir de cette époque par les producteurs aux comiques eux-mêmes fut, sinon engendrée, du moins très fortement encouragée par l’avènement du son. En faisant tourner Keaton en muet (à un moment où les grandes vedettes MGM, Garbo en tête, faisaient leurs premiers films parlants) ses employeurs, quelles qu’aient pu être leurs raisons d’ailleurs, lui donnaient un atout de taille en lui permettant de s’exprimer une dernière fois dans son idiome. » (Buster Keaton, Seghers, 1973)

Dans Le Figurant, le personnage de Buster Keaton, sentimental et amoureux, réussit à épouser celle qu’il aime. Mais loin du mariage d’amour espéré, il s’agit pour la jeune femme d’un mariage par dépit. Le mari découvre une épouse fêtarde, avec un sérieux penchant pour la bouteille, fréquentant gangsters et autres bootleggers. L’art burlesque de Keaton s’exalte dans le langage des corps : la célèbre scène du coucher de la mariée éméchée, sorte de poupée désarticulée, en est la preuve éclatante. De glissades en chutes, les lois de la pesanteur ne sont contrecarrées que par de savants calculs mathématiques. Dans son dernier film muet, Keaton fait preuve de son génie comique et de son expertise en géométrie spatiale – le parlant ne lui laissera plus guère d’occasion de les mettre en valeur.

« Quelle simplicité dans les moyens, quelle leçon de modestie ! En 1928, le cinéma de Keaton avait déjà atteint à la modernité.Si bien que chaque geste, chaque gag, s’il nous fait rire aux larmes, nous fait penser profondément à la condition humaine. Les thèmes sont simples mais les incidences sont tellement pensées que l’on reste sidéré par tant de concentration. Les linguistes de tout bord doivent se délecter devant un film de Keaton. » (Gérard Langlois, Les Lettres françaises, 11 novembre 1970)