L'Île aux chiens

Invité d’honneur : Wes Anderson

En raison d’une épidémie de grippe canine, Kobayashi, le maire de Megasaki, ordonne la mise en quarantaine de tous les chiens de la ville, envoyés sur Trash Island. Le jeune Atari, 12 ans, vole un avion et se rend sur l’île pour rechercher son fidèle compagnon, Spots. Aidé par une bande de cinq chiens intrépides et attachants, Chief, Rex, King, Duke et Boss, il découvre une conspiration qui menace la ville.

C’est avec ses amis Roman Coppola, Jason Schwartzman et Kunichi Nomura que Wes Anderson écrit L’Île aux chiens. Issu du nom d’une île sur la Tamise à Londres (qui aurait hébergé les chiens de chasse du roi Édouard III) et de l’envie de placer l’action au Japon, le film est aussi un hommage du cinéaste américain à deux figures du cinéma nippon, Hayao Miyazaki et Akira Kurosawa. Anderson imagine d’ailleurs en parallèle à son film, comme un guide, celui que Kurosawa aurait pu réaliser avec la même histoire : un film en Scope noir & blanc avec des chiens en chair et en os.

Les chiens de Wes Anderson sont des marionnettes. Reprenant le stop motion de Fantastic Mr. Fox, le cinéaste fait œuvre de minutie et de patience durant les deux années de tournage. Dans cette fable animalière, les chiens (qui empruntent leurs voix aux comédiens familiers du réalisateur) sont abandonnés à leur sort sur une île couverte de détritus. Bannie, chassée, ostracisée par un dirigeant autocrate qui manipule le peuple à grand renfort de fake news, la meute canine apparaît finalement plus civilisée que les hommes. La révolte s’organise, menée de concert par les animaux, domestiques comme sauvages, et les enfants.

Wes Anderson est un conteur hors pair et si la technique est présente, elle n’affaiblit jamais le propos. Dans une profusion de détails, L’Île aux chiens raconte la douleur de l’exil et de la persécution, la montée du populisme, avec un sous-texte écologique. Infiniment sombre, il use d’images concentrationnaires. « L'Île aux chiens ne bouscule pas le système andersonien que graphiquement, mais aussi émotionnellement. La possible lecture politique du film ne se déduit pas uniquement de son propos sur le maintien de certaines populations dans d'indignes conditions de vie. Elle émane aussi des hurlements canins qui sourdent de son environnement ravagé, comme des accents furieux de la musique percussive d'Alexandre Desplat, lignes sonores sous-jacentes d'un appel à la révolte. C'est peut-être prêter beaucoup d'intention subversive au cinéaste, pour un film guidé avant tout par l'excursion fantaisiste. Mais même au format de poche, l'utopie reste opérante. Cette victoire des "super-enfants" […] et des explorateurs de tout poil, suffit déjà amplement à toiser d'autres meutes bien moins téméraires et à conjurer, pour un bref moment d'enchantement, le cynisme de l'époque. » (Joachim Lepastier, Cahiers du cinéma n°743, avril 2018)