John McCabe

Robert Altman - Le grand cirque

1902, Presbyterian Church, dans le Nord-Ouest des États-Unis. Ses gains de poker en poche, John McCabe (Warren Beatty) débarque dans cette ville minière en plein essor et monte un modeste bordel. Une petite affaire qui, avec sa désormais associée Mrs. Miller (Julie Christie), se développe jusqu’à devenir une maison close florissante. Bientôt, elle suscite intérêt et convoitise.

Un homme débarque seul dans une ville de l’Ouest. Si l’image est classique du western, il s’agit là d’une des rares concessions de Robert Altman à la tradition. Alors que M*A*S*H n’est pas encore sorti sur les écrans, le cinéaste se lance dans l’adaptation du roman d’Edmund Naughton, McCabe (La Belle Main dans la Série Noire), qui intéressait Hollywood depuis longtemps. « Je n’ai jamais eu le désir de faire un western traditionnel, et d’ailleurs, j’étais fatigué d’une certaine tradition. Il y a dix ou quinze ans, j’ai vu un western à la télé, sans doute produit par une compagnie très peu professionnelle, avec sans doute les plus mauvais acteurs possibles, mais la ville donnait une incroyable impression de réalité, ce qui en faisait un des meilleurs films que je connaisse. J’ai gardé cela présent à l’esprit. » (Robert Altman, in Amis Américains, Bertrand Tavernier, Actes Sud / Institut Lumière, 2008)

L’esthétique du film est très vite décidée : pas de grands espaces lumineux, mais un camaïeu de bruns sales et de bleus plombés, de la pluie, de la neige, une boue collante. Pour obtenir l’aspect de photographies anciennes, délavées, souhaité par Altman, son chef opérateur Vilmos Zsigmond lui conseille de flasher la pellicule, apportant ainsi grain et teinte grise. Le cinéaste refuse également que le son du film soit clair, comme lors d’un enregistrement en studio. Ici on se coupe la parole, on ne s’entend pas toujours, créant un fond sonore permanent – choix artistique que contestera Warren Beatty, en vain, et qui deviendra une constante chez le réalisateur.

Robert Altman prend ses distances avec l’Ouest mythique. Choisissant les stars Warren Beatty et Julie Christie pour incarner le couple John McCabe et Mrs. Miller (d’ailleurs titre original du film, le titre français perdant la moitié féminine), Robert Altman prend le parti du contre-emploi. Le héros n’en est pas un : c’est un maquereau à la petite semaine, un homme déchu. Mrs. Miller est, quant à elle, calculatrice et entreprenante, bien loin des stéréotypes féminins du western. Dans ce film trop méconnu, Altman s’attaque à un pilier de la culture américaine, la libre entreprise, avec le portrait de ce self-made-man rattrapé par un requin plus gros et plus capitaliste dans un village minier en pleine construction. Une lente décomposition hante ce western crépusculaire.

« John McCabe [est une affaire] de ton, où tout reste évanescent : les mots, les couleurs, la pipe d’opium fumée par Mrs. Miller le soir venu, les chansons de Leonard Cohen, et la neige qui envahit peu à peu le film dans un long duel final qui est une des plus grandes réussites plastiques d’Altman. Tout est mouvement dans John McCabe, et pourtant il reste extraordinairement figé, comme si chaque personnage, isolé dans ses rêves, ne pouvant plus communiquer avec l’autre, définitivement perdu dans l’enfer de ses illusions. » (Samuel Blumenfeld, Le Monde, 22 janvier 2003)