Gosford Park

Robert Altman - Le grand cirque

Un somptueux manoir anglais, une famille fortunée, des invités prestigieux réunis pour une partie de chasse. À l’étage, ambiance feutrée, menus propos, bons mots, flirts badins, intrigues et suppliques, musique douce et jeu de société… Au rez-de-chaussée, une armée de domestiques s’active pour satisfaire les maîtres et leurs hôtes, jamais à court de demandes. À la hiérarchie d’en haut répond celle d’en bas, aussi subtile et tatillonne. Deux univers, étroitement soudés, se côtoient ainsi jour et nuit, sans se comprendre. Jusqu’à ce qu’un scandale éclate.

En 2001, Robert Altman avait abordé bien des genres au cinéma, mais jamais encore l’énigme policière "à l’anglaise". Avec Gosford Park, le whodunit ? est un prétexte : ici le crime est révélateur des personnalités.

Une réception de haut vol est un ballet bien chorégraphié, et l’étiquette est un art subtil. Deux mondes interagissent, mais ne se mélangent pas : les gens d’en haut, maîtres des lieux, et les gens d’en bas, les domestiques. C’est du point de vue de ces derniers que se déroule le film, ils sont les guides à travers la maison. Avec cynisme, Altman aborde la question sociale des relations de classes et celle du respect porté – ou non – au personnel (comme par exemple le fait que les domestiques des invités portent provisoirement le nom de leur employeur, niant ainsi leur individualité). Le scénariste, Julian Fellowes, reprendra ce thème quelques années plus tard, en le développant, dans sa série à succès Downton Abbey.

Dans cette fourmilière peuplée par une pléiade d’acteurs britanniques, chacun possède ses secrets, et il faudra un meurtre pour que les masques tombent. Avec Gosford Park, entre huis clos à la Agatha Christie et hommage à La Règle du jeu de Jean Renoir, Robert Altman fait revivre un monde finissant, somme de grandes solitudes.

« On ne s’en étonnera pas : Gosford Park subjugue par son style qui sublime les idées théoriques, et surtout métamorphose l’anecdote policière, ce MacGuffin d’école qui ne sert qu’à révéler l’ombre sournoise qui règne sur la maison des McCordle. Altman se joue des pièges avec une élégance de tous les instants. Le film a beau ne se dérouler que dans un lieu unique, la mise en scène ne répète jamais les mêmes figures. Les déplacements incessants des personnages dans le cadre, les mouvements de caméra subtils ne répondent à aucune virtuosité gratuite. La fluidité de la mise en scène sert avant tout la narration : elle en reflète les mystères, les ambitions, les ambiguïtés, l’incroyable richesse. » (Olivier De Bruyn, Positif n°493, mars 2002)