Femmes et voyous

Ozu rares et inédits

Sublimes moments du muet

Secrétaire la journée dans une entreprise, Tokiko (Kinuyo Tanaka) retrouve tous les soirs le gang de son amant Jyoji (Joji Oka) et veille sur un dancing tenu par les truands. Hiroshi (Hideo Mitsui), un jeune étudiant, rejoint l’organisation. Sa sœur Kazuko (Sumiko Mizukubo) décide de rencontrer Jyoji : il doit convaincre Hiroshi de renoncer à sa nouvelle vie dans le gang. Jyoji tombe sous le charme de la sage Kazuko.

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Film muet méconnu du grand public, longtemps considéré disparu, Femmes et voyous est réalisé dans la grande tradition des films de gangsters américains des années 30. Ozu suit ses personnages à travers des lieux tout droit sortis d’un polar : immeubles exigus, appartements miteux, salles de billard enfumées et clubs de boxe suintants. Le décor et les costumes (fedoras et trenchcoats) n’évoquent ainsi nullement le Japon de l’époque.

Dans son journal – réédité par Carlotta en 2020 sous le titre Carnets 1933-1963 –, Ozu consigne ses réflexions. Lors de la première journée de tournage au club de boxe, il s’agace : « Ça ne vient toujours pas ! Tout va de travers ! On n’est pas en condition. Les champions olympiques ne sont pas les seuls à avoir ce genre de problème ! » Quelques jours plus tard, il se rendra à la projection de Scarface de Hawks. Femmes et voyous est au carrefour des genres, polar et mélo, mais aussi des nationalités, américain mais fondamentalement japonais. « Bien sûr, Femmes et voyous n’a pas été fait à Hollywood. Il a été réalisé aux studios Shochiku à Tokyo, où dix ans plus tôt Ozu avait commencé sa carrière d’assistant caméraman. Il avait passé la plupart des jours et des nuits de son enfance à regarder des films américains dans des cinémas japonais locaux, chose évidente à la vision des films muets (trente-cinq en tout, principalement des comédies et des mélodrames) qu’il a réalisés pour Shochiku. Son amour pour Hollywood aboutit à la création de ce monde japonais-américain particulier, qui ne pouvait s’épanouir que dans un cinéma sombre. Nous connaissons la variété transatlantique de cette histoire d’amour hollywoodienne, qui s’est manifestée dans les films de Godard, Truffaut et Melville… mais le voir apparaître vingt-cinq ans avant la Nouvelle Vague, dans un film d’Ozu ? Ce film est vraiment révélateur. » (Eddie Muller, silentfilm.org, 2014)

Le film s’ouvre par un travelling latéral sur une rangée de secrétaires, enchaîne sur une enfilade de chapeaux puis sur une horloge : en rupture avec son amour des prises statiques, le cinéaste utilise ici une caméra mobile, fluide, servie par un montage vif.

Dans ce drame passionnel, Tokiko, incarnée par l’actrice et future réalisatrice Kinuyo Tanaka, est le personnage le plus intéressant. Si elle semble être, au premier abord, une innocente dactylo, on la découvre bientôt aux côtés du gang le plus respecté de Tokyo. Elle est capable d’appuyer sur la détente comme de désarmer l’homme qu’elle aime : c’est bien elle l’héroïne du film.