Faux mouvement

Prix Lumière : Wim Wenders

Afin de se délivrer de l’atmosphère étouffante de sa ville natale et de sa famille, Wilhelm Meister (Rüdiger Vogler) entreprend un voyage à travers l’Allemagne. Il veut être écrivain. Dans le train, il rencontre un couple étrange, le vieux chanteur Laertes (Hans Christian Blech), au passé marqué par le nazisme, accompagné d’une jeune fille muette, Mignon (Nastassja Kinski). Plus tard, il tombe amoureux de Therese (Hanna Schygulla), une comédienne, et devient l’ami d’un poète, Landau (Peter Kern). Tous décident de poursuivre la route ensemble.

 © Wim Wenders Stiftung Par Films Du Losange

Faux mouvement : un élan, un geste, une volonté, au finale une stagnation. Librement adapté des Années d'apprentissage de Wilhelm Meister de Goethe – écrit en 1795 et considéré comme fondateur du bildungsroman ou roman de formation –, le film réunit Wim Wenders et son ami, l’écrivain Peter Handke. « On aimait tous les deux le livre de Goethe, en se disant que tout ce qui était dans le livre, ce mouvement émancipateur, aujourd’hui, ne mènerait à rien, nulle part. Le voyage comme apprentissage, pour comprendre le monde, ce rêve n’était plus pensable pour nous aujourd’hui. Le film qu’on pourrait en tirer serait donc le voyage de quelqu’un qui a cet espoir de comprendre le monde, et pour qui le contraire se passe : il va se rendre compte que ce mouvement le mène vers le néant, qu’à la fin, il n’a pas bougé d’un centimètre. D’où le titre : Faux mouvement. » (Wim Wenders, Le Souffle de l’ange, in La Logique des images, L’Arche, 1990)

Cette transposition contemporaine emmène donc Wilhelm sur les routes, à la recherche de son identité, personnelle et artistique. Il veut devenir écrivain pour « mieux saisir le monde avec le langage » (Wim Wenders), mais surtout, comme il le notera dans son carnet, il a l’envie d’écrire : « le besoin, c’est le désir d’écrire. Comme le désir d’aimer, pas le fait d’aimer. »

Il se fabrique un nouveau groupe, né des rencontres et du hasard. Ensemble, dans un "paysage-personnage", ces compagnons de route discutent et s’interrogent sur la philosophie, la solitude, le réel et l’imaginaire, la création. La parole est omniprésente. Mais tout ce périple est pour autant teinté d’un malaise bien présent, d’une noirceur tenace. Entre le nord et le sud de l’Allemagne, le groupe se disloque et Wilhelm se retrouve le même qu’au début de son voyage initiatique. Il n’a pas de réponse à ses questions. La vacuité des choses a pris le pas sur tout le reste.

« On est très loin du réalisme plat, du simple naturalisme. L'extrême rigueur de la mise en scène de Wenders, d'une pureté glacée, son découpage net, précis, comme au rasoir, s'allient merveilleusement à la plume-scalpel de Handke pour nous présenter une vision du monde comme décalée, obligeant le spectateur à sans cesse accommoder, à percevoir autrement, d'un autre point de vue, quelque part dans le no man's land indécis où se meut Wilhelm Meister, lui-même en perpétuel équilibre instable, toujours à la merci d'un faux mouvement. » (Alain Rémond, Télérama, 21 janvier 1978)