Manbei Kohayagawa (Ganjiro Nakamura) est le patron d’une petite brasserie de saké au bord de la faillite. Le vieil homme est entouré de ses trois filles : l’aînée, Akiko (Setsuko Hara), veuve et mère d’un petit garçon, qu’il souhaite remarier ; la cadette, Fumiko (Michiyo Aratama), dont l’époux, gérant de la brasserie, se dévoue à la survie de l’entreprise ; et la benjamine, Noriko (Yoko Tsukasa), qui refuse tous les prétendants choisis par sa famille. Manbei trouve du réconfort auprès de son ancienne maîtresse, chez qui il se rend en secret. Mais la santé du patriarche décline…
Dernier caprice – dont la traduction littérale du titre original signifie « l’automne de la famille Kohayagawa » – est l’avant-dernier film de Yasujiro Ozu, qui en aura réalisé plus de cinquante en trente-cinq années de carrière. Il est aussi, grâce à sa sélection au Festival de Berlin, l’un des premiers à parvenir en Occident.
Exceptionnellement, Ozu est produit par la Daei. À cette annonce, les acteurs du studio se pressent pour tourner avec ce réalisateur prestigieux. Ozu retrouve par ailleurs quelques-uns de ses comédiens, réunissant ainsi plusieurs générations de sa famille de cinéma.
Le cinéaste, comme à son habitude, filme la famille. Mais celle-ci est double : l’officielle (« c’est une famille compliquée » explique un personnage) et la cachée, recréée par Manbei avec sa maîtresse. Le film joue sur des ruptures de ton, d’abord comédie avec le personnage du père malicieux, puis basculant vers un dénouement dramatique, grave, avec la maladie de celui-ci. Cette dualité apparaît dans le traitement des couleurs du film, tourné en EastmanColor. Initialement lumineuses, presque pop, les images semblent basculer vers le noir & blanc lors de la procession de la famille endeuillée.
Dernier caprice montre une famille qui évolue vers la modernité, où le libre-arbitre prend davantage de place que les convenances. Chacun agit ici en contrariant le bon ordre des choses. « Si le film semble construit sur le satori d'un grand-père agissant “comme un enfant”, et dont le caprice donne au film sa fraîcheur et sa lumière, c'est à la Femme japonaise qu'il est dédié. Admirablement évoquée par Akiko, Noriko, Fumiko, les trois filles "légitimes", et Sasaki, la maîtresse, elle est bien la gardienne du trésor. Car elle a tout saisi de l'étiquette ancienne et de la modernité étrangère, elle sait en user pour feindre sans jamais être dupe. Elle seule peut établir le pont entre l'ancien et le nouveau, comme l'atteste le très beau passage de la fin où la famille passe effectivement sur un pont pour franchir une rivière. Akiko et Noriko, si différentes et si belles, semblent en prière quand elles discourent de "petits riens", ou de leurs soupirants. Leurs sourires, leurs jeux, cette attention au corps qui les caractérisent, créent dans l'image le lieu d'un merveilleux échange. Elles sont détentrices du secret du film et de sa réserve, dans le partage même de leur sentiment et de leur désir. Les femmes auront le dernier mot. » (Dominique Rinieri, Cinématographe n° 76, mars 1982)
Dernier caprice (Kohayagawa-ke no aki)
Japon, 1961, 1h43, couleurs, format 1.37
Réalisation Yasujiro Ozu
Scénario Kogo Noda,Yasujiro Ozu
Photo Asakazu Nakai
Direction artistique & décors Tomoo Shimogawara
Musique Toshiro Mayuzumi
Montage Koichi Iwashita
Production Sanezumi Fujimoto, Masakatsu Kaneko, Tadahiro Teramoto, Toho, Takarazuka Eiga
Interprètes Ganjiro Nakamura (Manbei Kohayagawa), Setsuko Hara (Akiko), Hisaya Morishige (Isomura Eiichirou), Yoko Tsukasa (Noriko), Daisuke Kato (Kitagawa Yanosuke), Michiyo Aratama (Fumiko), Keiju Kobayashi (Hisao, le mari de Fumiko), Reiko Dan (Yuriko), Akira Takarada (Teramoto Tadashi), Yumi Shirakawa (Nakanishi Takako), Masahiko Shimazu (Masao)
Sortie au Japon 29 octobre 1961
Présentation à la Berlinale juin 1962
Sortie en France 27 janvier 1982
Distributeur Carlotta Films
Événement Ozu 120 ans Partie 2 : Rétrospective en 4 films, ressortie de raretés et inédits au cinéma le 8 novembre 2023 par Carlotta Films.
Restauration 4K par la Toho au Tokyo Laboratory.
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