Chambre 999

Prix Lumière : Wim Wenders / Documentaires

En 1982, pendant le Festival de Cannes, Wim Wenders a demandé à ses collègues réalisateurs de s'exprimer sur l'avenir du cinéma. Il en fit un documentaire, Chambre 666. Quarante ans plus tard, à Cannes, la réalisatrice Lubna Playoust pose la même question à ses contemporains : le cinéma est-il un langage sur le point de se perdre, un art sur le point de mourir ?

Chambre 666 de Wim Wenders est un film cher à Lubna Playoust, « comme un livre » auquel elle revient régulièrement. Pour son premier long métrage en tant que réalisatrice, la comédienne décide d’utiliser le même dispositif que Wim Wenders : une chambre d’hôtel à Cannes, un papier avec les questions et le cinéaste seul face à la caméra. Lubna Playoust décide par contre de tourner en numérique et de ne pas limiter les intervenants dans le temps. Sans trahir la parole, le montage donne naissance à un dialogue entre les cinéastes. Sa volonté est de mettre en parallèle les deux films, imaginant pouvoir coller les images côte à côte, en un dispositif créateur.

En 1982, le cinéma faisait face à la massification de la télévision et de la vidéo. Aujourd’hui, les enjeux sont les modes de consommation (streaming, plateforme…), les moyens d’expression, les changements technologiques et sociologiques. Pour les créateurs comme pour les spectateurs : quel sont les nouveaux usages et quel en est l’impact sur l’art ?

C’est Wim Wenders qui ouvre le bal, devant un écran plat, noir, où seule la mention « No signal » apparaît. Son pessimisme est prégnant : « Depuis le tout début, le cinéma est vite devenu un langage et aussi très vite un art. L’art le plus pertinent ou, du moins, le plus populaire du XX^e siècle. Il a eu de la concurrence. D’abord, avec la télévision, mais le cinéma a su surmonter ça. » Il ajoute que le numérique « n’a pas simplement menacé notre forme d’expression artistique, mais a totalement envahi nos vies, nos habitudes, sapé notre culture et même, lentement, annihilé l’idée même qu’on se fait de la vérité. […] Et l’idée du bien commun est lentement mise à mal par cette puissante invasion que l’on a appelée par euphémisme "révolution numérique" sans savoir à quel point elle allait être mortelle. » (cité par Samuel Blumenfeld, Le Monde, 24 mai 23) D’autres cinéastes soulignent de leur côté que le cinéma n’a jamais cessé de se réinventer, que toutes les histoires n’ont pas été filmées, et soulignent l’importance de l’expérience collective de la salle de cinéma face à l’individualisme de la société, du regard porté par l’auteur face à un flux incessant d’images. Le changement est accepté, la volonté de s’adapter est réelle.

Dans ce documentaire d’une grande intelligence, Lubna Playoust capte son époque et surtout un art bien vivant quoique potentiellement mortel.