À bord du Darjeeling Limited

Invité d’honneur : Wes Anderson

Trois frères qui ne se sont pas parlé depuis la mort de leur père décident de faire ensemble un grand voyage en train à travers l’Inde afin de renouer les liens d’autrefois. Pourtant, la « quête spirituelle » de Francis (Owen Wilson), Peter (Adrien Brody), et Jack (Jason Schwartzman) va vite dérailler, et ils se retrouvent seuls au milieu du désert, avec onze valises, une imprimante, une plastifieuse et beaucoup de comptes à régler avec la vie…

« J’ai toujours aimé les films qui se passent dans des trains. La scène prend place dans une pièce, mais la pièce elle-même se déplace à travers un pays, ce qui fait que quand la scène se termine, elle est littéralement à un point différent de celui où elle a commencé.  À mesure que l’histoire avance, le paysage avance aussi. Il y a là une sorte de mystère du cinéma. » (Wes Anderson, Les Inrockuptibles, 18 mars 2008)

À bord du Darjeeling Limited s’annonce comme le voyage d’une vie, doublé d’une quête des origines aux allures de thérapie familiale, mélangeant plusieurs grands thèmes, comme la psychologie et l’exotisme. Et plus précisément l’Inde, celle de Fritz Lang, Satyajit Ray ou encore Jean Renoir, dont Le Fleuve (découvert par Wes Anderson sur les conseils de Martin Scorsese) influence directement le cinéaste. Visuellement, il orchestre une parfaite chorégraphie de ses comédiens dans une merveille de train décoré par des artisans locaux, se fondant parfaitement à son univers. Les couleurs et les décors de cette Inde surannée sont définitivement andersoniens.

L’Inde devient donc le théâtre bigger than life, un peu magique, de cette épopée. Fratrie disloquée (Wes Anderson « tue » l’encombrante figure du père avant même le début du film et expédie la mère, devenue nonne, dans l’Himalaya), le trio déballe souffrances et rancœurs accumulées dans le cadre réduit de leur cabine. Dans ce récit de "refiliation", Francis, Peter et Jack finissent par se débarrasser de leurs encombrants bagages paternels et se résoudre à leur état d’orphelins, abandonnés par une mère dévouée aux enfants des autres.

À bord du Darjeeling Limited reprend les motifs de l’œuvre d’Anderson, mais il se distingue par une maturité naissante, acceptation du passage vers l’âge adulte de ses personnages meurtris. La parenthèse tragique de l’accident et du rite funéraire au sein de la famille indienne apporte langueur et sérénité. Les ralentis ne sont pas un effet de style et leur beauté est fascinante. Les percées de violence sont également plus vives (le visage tuméfié de Francis, la noyade de l’enfant, le malaise de son père accablé d’une douleur retenue), « autant de coup de dague qui font voler en éclats la perfection de l’enluminure andersonienne et font de ces films des œuvres bouleversantes » (Clélia Cohen, Les Inrockuptibles, 18 mars 2008)