Posté le 17.10.2023
Ovationné comme une star du rock, le cinéaste américain a conquis le public de l’Auditorium de Lyon, qui a notamment pu découvrir sur grand écran sa délicieuse adaptation de La Merveilleuse Histoire de Henry Sugar, la nouvelle de Roald Dahl.
© Jean-Luc Mège
Être cinéaste, mais pas que…
Pour faire du cinéma, je crois qu’il est nécessaire d’être doté, avant toute autre chose, d’un amour inaltérable pour l’âme humaine. Mais de mon point de vue, sans l’intervention du destin, faire carrière dans le 7e Art est difficile. La chance est un facteur important. Lorsque tous ces éléments s’imbriquent, alors il vous ouvre grand ses portes, comme c’est le cas pour moi depuis vingt-cinq ans. Je me considère comme un artiste et un cinéaste, mais également comme un écrivain et un architecte, deux métiers qui m’ont fait rêver lorsque j’étais plus jeune. Et le plus réjouissant, c’est que le cinéma me permet aujourd’hui d’enfiler ces différents costumes. Lorsque je termine un film, j’ai toujours hâte d’ouvrir la page du prochain.
Un renouvellement permanent dans une parfaite cohérence
Je ne débute jamais la réalisation d’un film avec l’idée première d’épouser impérativement mon style. Je l’aborde toujours en me focalisant sur l’histoire que je veux raconter et sur ce qui est nouveau dans ma vision des choses. Je me pose surtout la question de comment faire en sorte que ce que je souhaite raconter soit intelligible pour le spectateur. Bien-entendu, mes films sont visuellement connectés entre eux et souvent, j’entends dire que mon cinéma est reconnaissable entre mille. C’est un peu comme pour mon style d’écriture manuelle, je fais du Wes Anderson et je l’accepte ! Mais je m'attelle toujours à aborder différemment chaque histoire.
L’animation, une parenthèse
La première fois que j’ai réalisé un film d’animation, c’était à l’occasion de Fanstastic Mr. Fox. J’étais intéressé par la technique du stop motion, que je voulais expérimenter depuis mon enfance. La seconde fois, cela a été comme un nouveau départ, même si j’avais acquis une méthode. Je voulais expérimenter plus en profondeur le travail d’équipe dans le cinéma d’animation. Sa dimension technique et humaine. Je savais ce qu’il en coûtait de réaliser un film d’animation. J’avais un objectif précis en tête et je connaissais les difficultés comme les joies qui découlent d’un projet d’animation. Bien-sûr, j’avais une histoire à raconter, mais je voulais également vivre ce projet en tant qu’équipe. Réaliser un film d’animation, c’est un peu pour moi comme initier une retraite dans un monastère.
© Sandrine Thesillat / Jean-Luc Mège
L’art de l’écriture et de la mise en scène
Quand j’écris un long métrage, je ne sais jamais vraiment comment je vais le mettre en images. Dans un premier temps, je me focalise totalement sur l’histoire. J’essaye d’abord de mettre au clair ce que les spectateurs ont besoin de savoir et de comprendre. Ce processus me permet d’avoir une idée bien plus précise de ce que sera ma mise en scène. Je sais que nombre de cinéastes développent un travail de mise en scène en parallèle au travail d’écriture. De mon côté, je n’ai jamais réussi à mener ces deux projets en même temps de façon efficace, même si l’animation, par sa méthode, m’a beaucoup aidé à davantage anticiper les plans et les décors, et à donc enrichir mes films, tout en n’augmentant pas leur budget.
Sa troupe de comédiens et son… bus !
C’est un élément très important pour moi. Je n’ai pas planifié d’en constituer une, mais elle s’est bâtie un peu naturellement, au fil des années, de film en film. J’ai la chance de travailler avec des comédiens que j’admire. Quand je démarre la réalisation d’un long métrage, je me débrouille pour les retrouver. J’aime que mon casting vive l’expérience du tournage comme une troupe. Nous vivons les uns avec les autres, mangeons ensemble et avançons dans les étapes du tournage avec un état d’esprit soudé. Cela rend l’expérience bien plus émouvante pour toute l’équipe. C’est très important pour moi de bâtir une ambiance familiale. Même chose quand nous nous retrouvons dans un festival pour la promotion du film. J’aime proposer à mon équipe cette même expérience de troupe que celle vécue sur le tournage. À Cannes, par exemple, nous logeons tous à l’extérieur de la ville. Nous pouvons nous rendre à la plage sans être assaillis et nous nous rendons ensuite sur la Croisette dans mon bus de marque allemande aménagé. Il possède une table, une petite cuisine, de grands sièges pour se relaxer et même du wifi. Mon rêve, c’est d’arriver devant le palais des festivals avec !
© Jean-Luc Mège
Vers davantage de radicalité visuelle ?
Quel que soit le film que je réalise, il y a toujours un moment où je me demande si je ne vais pas perdre le spectateur car je pousse le curseur un peu trop loin dans la radicalité visuelle. Mon objectif, c’est toujours d’être le plus intelligible pour le grand public. Toutefois, je m’efforce de toujours aller au bout de mes idées lorsque je crois que c’est le meilleur moyen de mettre en scène ce que je souhaite raconter. Pour adapter La Merveilleuse Histoire de Henry Sugar, j’ai opté pour une forme très particulière et j’ai un instant imaginé qu’elle pourrait déstabiliser le spectateur. Sur ce film, je me suis attaché à mettre en scène la nouvelle de Roald Dahl avec une grande rigueur. Je suis tombé amoureux de ses mots et j’étais très inquiet de ne pas réussir à parvenir à leur rendre hommage. J’espère avoir réussi.
Des personnages cinglés, really ?
Un jour, lors d’une projection de La Famille Tenenbaum à l’ancienne Cinémathèque Française, un vieux monsieur ressemblant à Michel Ciment m’a demandé pourquoi je mettais toujours en scène des personnes aussi cinglées. Je lui ai répondu la vérité, à savoir qu’ils sont inspirés de mes amis et de ma famille ! Je ne suis pas attiré par les gens bizarres et de mon point de vue, mes personnages ne le sont pas. S’agissant de l’émotion qu’ils transmettent, je fais confiance à mes personnages et aux comédiens qui les interprètent. C’est pour cette raison que le casting est une étape très importante de mon processus.
Propos recueillis par Benoit Pavan