Posté le 20.10.2023
Jour J pour le prix Lumière, et petit abécédaire pour essayer de cerner un cinéaste multiple à l’inspiration sans cesse renouvelée.
Bruno Ganz dans Les Ailes du désir, 1987 © Wim Wenders Stiftung
A COMME AMÉRIQUE
Qu’est-ce qui fait rêver le « boomer » né sur les ruines de l’Allemagne vaincue ? Certainement pas la République Fédérale Allemande, mais plutôt les vrais westerns sans Winnetou et le rock comme une potion d’énergie vitale.
B COMME BERLIN
Wenders ne s’installe à Berlin qu’en 1976. Il lui faut dix ans pour tourner un film qui est aujourd’hui comme un morceau d’histoire : rien de plus beau, rien de plus disparu que Berlin dans Les Ailes du désir, deux ans avant la chute du mur, via les images sublimes d’Henri Alekan. Ses clubs de rock, la bibliothèque comme la maison des anges, la colonne de la victoire, etc. Le jour où Wim envoya cette carte postale, on la reçut en plein cœur.
C COMME CHEVALET
Quel peintre aurait été Wim Wenders ? Abstrait pour échapper à l’influence de ses maîtres ? Ou, à l’inverse, figuratif pour marcher sur les traces de ceux qui l’ont impressionné, comme Edward Hopper, conteur de l’Amérique urbaine, dont chaque toile semble une scène de cinéma. Revoir à ce sujet Don’t Come Knocking, le plus hoppérien de ses films.
Solveig Dommartin dans Les Ailes du désir, 1987 © Wim Wenders Stiftung
D COMME DOMMARTIN, SOLVEIG
Sa chevelure d’or, sa diction singulière, en français comme en allemand, sa silhouette altière, sur le trapèze d’un cirque berlinois ou dans le futur proche d’un monde qui craint sa perte : Solveig Dommartin (1961–2007) a partagé intimement la vie et les films de Wim Wenders, cosignant le scénario de Jusqu’au bout du monde.
E COMME ESPACES (GRANDS)
Bien sûr, Travis de Paris, Texas, marchant en solitaire dans le désert américain, c’est une évidence. Mais, avant lui, l’Allemagne arpentée du nord au sud, avec parfois, au début du film, un plan d’hélicoptère pour marquer la topographie (influence de Fritz Lang, peut-être). Et cette impression de n’exister qu’au dehors, en marche.
F COMME FORTUNA DÜSSELDORF
Le club de foot de cœur de Wim Wenders, né comme le cinéma en 1895. Le plus souvent en division 2 allemande (mais pas mal placé à l’heure où l’on écrit ces lignes), champion en 1933, pas la meilleure année du pays...
G COMME GANZ, BRUNO
Même quand il joue avec moustache Jonathan Zimmermann, tueur occasionnel condamné par la médecine (dans L’Ami américain), il y a dans le visage de Bruno Ganz (1941–2019) une douceur, une compassion, qui est peut-être le thème profond du cinéma de Wenders. A fortiori quand il joue Damiel, l’ange qui surplombe Berlin dans Les Ailes du désir.
H COMME HOME
Dans Nick’s movie, Wenders complimente Nicholas Ray sur la scène des Indomptables où Mitchum rentre chez lui, balayant les toiles d’araignée pour récupérer une arme et un vieil illustré. Et si la quête du héros wendersien était celle d’un « home, sweet home », perdu ou rêvé ?
I COMME IMBISS
La leçon des Ailes du désir : le meilleur moyen de se sentir en vie, y compris pour un ex–ange qui ressemble drôlement à Columbo, c’est, dans l’hiver berlinois, de tenir entre ses doigts un petit gobelet de café chaud acheté à un kiosque, dégusté debout. Mauvais café, délicieuse existence.
J COMME JARMUSCH, JIM
L’ami américain, le compagnon de noir et blanc, de rock et de « guerilla shooting ». Remporte la caméra d’or l’année de la palme pour Paris, Texas. Wim s’en souvient encore : « Ce jour s'est terminé, ça c'est sûr, avec Jim Jarmusch au flipper du Petit Carlton. Je nous revois : Wim et Jim étaient heureux comme des papes ! »
K COMME KREUZER, LISA
Fossette au menton, les yeux cernés, elle est la toute première héroïne wendersienne, mauvaise mère (Alice dans les villes) ou épouse attentive (L’Ami américain). Douceur, mais vigueur aussi, beauté sombre, mais angélique, elle est irrésistible.
Nick's Movie, 1980 © Wim Wenders Stiftung
L COMME LANGLOIS, HENRI
Après avoir raté les Beaux-arts, le jeune Wenders se réchauffe à la Cinémathèque française et écoute le maître des lieux présenter des centaines de films. Plus tard, quand Langlois présentera L’angoisse du gardien de but…, Wenders notera avec étonnement qu’il quitte la salle. « Vous ne restez pas ? » « Non, je vais dîner : je ne regarde pas les films, je les montre… » Pas rancunier, Wenders lui dédiera L’Ami américain, où la « une » de Libération annonce sa mort.
Robbie Müller dans Jusqu'au bout du monde - Director's cut, 1991-1994 © Wim Wenders Stiftung
M COMME MÜLLER, ROBBIE
Immense chef opérateur néerlandais (1940–2018), il travaille à onze reprises avec Wim Wenders, devenant, à l’époque de Paris, Texas, la coqueluche du cinéma d’auteur international, de Jim Jarmusch à Lars Von Trier.
N COMME NICK’S MOVIE
Portrait déchirant d’un créateur (Nicholas Ray) à la fin de sa vie. Nicholas Ray, plus en forme, apparaît aussi dans L’Ami américain, en compagnie de Samuel Fuller, Jean Eustache, Daniel Schmid. Dans différents films, on apprend les morts de John Ford (Alice dans les villes) et de Federico Fellini (Lisbonne Story). Et Wenders a produit Michelangelo Antonioni, malade (Par-delà les nuages). L’ami des auteurs.
O COMME OZU, YASUJIRO
« S'il y avait quelque chose comme un trésor sacré du cinéma, alors pour moi, cela devrait être l'œuvre d’Ozu. Tout japonais qu'il soit, ses films sont en même temps universels. J'ai pu y reconnaître toutes les familles de tous les pays du monde, ainsi que mes parents, mon frère et moi-même. » Propos extrait de Tokyo-Ga, documentaire que Wenders a consacré à Ozu.
P COMME PARIS
Paris, Texas, évidemment ; Paris, France, où prit forme la vocation ; Paris Bar, Berlin, the « place to be » branché d’avant la chute du mur.
Q COMME 84
Isabelle Huppert, la benjamine du jury cette année-là, se souvient d’une Palme d’or remise à l’unanimité, sous l’élégante présidence de Dirk Bogarde. Année charnière pour le cinéaste qui, d’auteur apprécié par l’intelligentsia critique, devient un jeune maître presque tous publics (2 millions d’entrées dans les salles françaises).
R COMME ROCK
« La musique n’est jamais une ambiance ou une illustration mais l’histoire du film. Elle est aussi importante que le parcours des personnages. »
S COMME SONGE
« Enfant, ma mappemonde était mon bien le plus précieux. Dans les magazines, je découpais les photos de villes lointaines, de grattes ciels et je songeais qu'il existait, ailleurs, des endroits qui n'étaient pas détruits. »
T COMME TRAINS
Un amoureux des voyages ne peut pas ne pas aimer les trains. Dès Au fil du temps, les deux héros ne cessent de croiser différentes rames de la Deutsche Bahn, dans un étrange ballet route vs. rail qui ne devait pas être si simple à filmer. Plus tard, grande scène de meurtre néo–hitchcockienne dans L’Ami Américain.
U COMME U2
Wenders a réalisé plusieurs de leurs vidéos, tandis que Bono a signé de nombreux titres utilisés dans les films et fourni le sujet (et la BO) de The Million Dollar Hotel. Estime, amitié, synergie.
V COMME VOGLER, RÜDIGER
Le plus souvent, son nom est Winter, Philip Winter ; tour à tour écrivain, réparateur de projecteurs, ingénieur du son, détective… A tous ces doubles, Rüdiger Vogler, de trois ans l’aîné de Wim Wenders, offre un sourire en coin, un regard de bonté et de compassion sur les autres. Le premier ange du cinéma de Wenders.
Rüdiger Vogler dans Faux Mouvement, 1975 © Wim Wenders Stiftung
W COMME WENDERS, DONATA
Frau Wenders est une artiste à part entière, photographe de talent, qui a couvert les tournages de son époux depuis The End of violence, et développe également une œuvre propre, multipliant les expositions personnelles, avec un goût très sûr pour le noir et blanc.
X COMME CELUI DU PANNEAU CROISEMENT
« J’ai toujours vu mes films comme la recherche de quelque chose qui pourrait arriver, quelque chose que l’on trouve au cours de route, soit par les acteurs, soit dans le paysage. Si je prends à droite, ce sera un film. Si je prends à gauche, ce sera un autre film. »
Y COMME YAMAMOTO, YOHJI
Un jour, Wim Wenders a enlevé ses bretelles et il est devenu le roi de la sape, d’une élégance sans faille : par admiration pour le créateur japonais d’habits épurés aux formes amples, auquel il a consacré le documentaire Carnet de notes sur vêtements et villes.
Don't Come Knocking, 2005 © Wim Wenders Stiftung
Z COMME ZISCHLER, HANNS
L’acteur au physique « américain » que Wenders a su trouver en Allemagne. Né en 1947, compagnon de la première heure, dès Summer in the city, film de fin d’études. Par ailleurs metteur en scène, essayiste – notamment son passionnant petit ouvrage, Kafka va au cinéma, qu’il signera au festival Lumière.
Aurélien Ferenczi