Posté le 19.10.2023
Le réalisateur de Ray et de Officier et Gentleman évoque sa méthode et ses inquiétudes sur l'avenir d'Hollywood.
MOUVEMENT
La caméra doit toujours observer et non être le mouvement. Je bouge en général avec les acteurs. Prenons l’exemple de Ray. J’ai eu pour ce film une stratégie du mouvement en trois temps. L’histoire commence avec Ray Charles enfant, il grandit dans une famille pauvre mais heureuse, il voit encore. La caméra est posée au sol, c’est la famille qui bouge partout. Je voulais transmettre au public le fait que sa vie était stable. La seconde partie, c’est quand il perd la vue, sa vie est mise en danger, elle va totalement changer. C’est alors que je commence à bouger la caméra, désormais sa vie est instable. Il y a cette tradition dans le Sud d’accrocher des bouteilles aux arbres pour chasser les mauvais esprits et à ce moment-là les bouteilles se mettent à bouger subtilement. Enfin, quand Ray commence à prendre de l’héroïne et à devenir accro, il n’a plus aucune stabilité, sa vie prend une tournure terrible. Et là, c’est filmé caméra à l’épaule. Psychologiquement, Ray devient sans attaches, il est déconnecté. C’est subtil, je pense que cela aide le public à sentir le film.
Dans Soleil de nuit, j’avais les deux meilleurs danseurs du monde — Baryshnikov et Gregory Hines — et j’ai posé ma caméra et tourné sans interruption. Quand vous voyez une scène de danse dans un film et qu’il y a beaucoup de coupures, vous savez que ce ne sont pas de bons danseurs. On ne peut pas réussir à filmer ce type de scènes tout seul, il faut une équipe d’exception. Vous savez, ma maman était serveuse, elle était mère célibataire et je viens de la « working class », la classe ouvrière. Dans tous mes films, mes personnages viennent du même milieu, ils veulent y arriver à tout prix, se bougent : c’est sans doute pour cela que la sensation de mouvement se retrouve dans tous mes films.
© Léa Rener
OFFICIER & GENTLEMAN (1982)
Ce film parle de la jeunesse, or l’Amérique, qui est un grand pays, est un pays qui a été fondé par des puritains. Dans les années 1920-1930, les films commençaient à être très sexy et c’est là que le Code Hays a été créé et a détruit l’innocence des États-Unis. Si on voulait voir du sexe, il fallait voir des films européens. Je suis d'une génération rock mais ce qui arrivait dans la vie n’était pas visible à l’écran, contrairement à l’Europe. Donc quand j’ai fait Officier et Gentleman, il commençait à y avoir un certain tournant là-dessus, mais le sexe n’était toujours pas présent à l’écran. Je faisais un film sur des jeunes gens de la working-class qui sont tous très beaux et ils ne pensent qu’à ça, au sexe. Faire Officier et Gentleman et ne pas en parler très franchement, c'était inconcevable.
En ce sens c’était controversé car nous avions des scènes de sexes d’emblée qui reflétaient la vraie vie, mais aux yeux des studios, c’est complètement révolutionnaire, et c’est la première fois que les studios ont écouté un cinéaste là-dessus. À mon sens les scènes de sexe doivent servir l’histoire dans un film, sinon elles n’ont pas lieu d’être. Mais si on en met, c'est au metteur en scène et à lui seul de décider de comment ça se déroule. Moi je vide le plateau, les techniciens disparaissent et j’en parle avec les acteurs. Aujourd’hui, depuis #MeToo et Weinstein, il y a des coordinateurs d'intimité à Hollywood qui sont là pour surveiller qu’il ne se passe pas quelque chose d’inapproprié. Je ne peux pas croire que ce soit une bonne idée sauf s’il y a des problèmes à la base, il faut que ce soit le réalisateur qui filme.
SYNDICALISME
À Hollywood, chaque syndicat a sa méthode. Celui des réalisateurs obtient les choses en négociant. Les scénaristes eux, ne négocient pas, ils font toujours grève et n’obtiennent jamais rien. Ils disent toujours qu’ils ont obtenu des choses, mais si ils disent ça, c'est qu'ils ne peuvent pas assumer avoir mis des gens à la rue en faisant grève. Ce qui est différent, c’est que maintenant les acteurs font grève. Netflix est arrivé, a séduit tout le monde en donnant de l’argent au départ, et tout le monde a fini par réaliser qu’il n’y avait plus de droits d’auteurs. Ça, plus l’intelligence artificielle, on fait tous face à cette nouvelle industrie.
Propos recueillis par Charlotte Pavard