Posté le 19.10.2023
Le géant de l'animation Rintaro s'est inspiré de scénarios du cinéaste oublié Yamanaka dont on redécouvre avec joie une comédie des années 30.
Le premier épisode de cette histoire commence mal : un cinéaste périt à la guerre. Il est japonais, s’appelle Sadao Yamanaka, et meurt d’une dysenterie en 1938, à 29 ans. On lui promettait un grand avenir après qu’il eut réalisé 24 films en 6 ans (!), intégrant habilement le film de genre à la réalité du petit peuple nippon. De Yamanaka, seuls 3 films sont arrivés jusqu’à nous dont la délicieuse comédie, Le Pot d’un million de ryos, dans laquelle on se dispute un pot sans valeur, mais contenant la carte d’un trésor. L’objet envoyé en cadeau est d’abord jugé trop dérisoire, puis au moment où on s’apprête à le rendre, précieux et introuvable.
Le Pot d’un million de ryos offre, outre cette intrigue à la Labiche, un personnage irrésistible, dont les aventures ont pas mal occupé le cinéma japonais de l’époque : Tange Sazen, un samouraï borgne et manchot, né dans la littérature populaire à la fin des années 20. Après avoir été à l’écran le héros de très sérieux films de sabre, le voici pour la première fois, traité sur le mode comique : il est désormais un ronin rouspéteur et vaguement misanthrope, protégeant un salon de jeux et de plaisir. Il joue les durs, mais il a le cœur sur la main, prêt à s’occuper d’un petit orphelin, mais capable aussi, et la scène est géniale, d’éliminer en quelques secondes un mercenaire attiré par l’argent, le tout sans que le gamin prenne peur. Sazen est joué par le grand Denjirō Ōkōchi, qui a créé le personnage au cinéma, et en fait ici, sans doute à la demande expresse de Yamanaka, une caricature à la Sharaku. Par ailleurs, la façon dont tous les personnages masculins sont dominés par les femmes est assez savoureuse.
Nezumikozo Jirokichi, 2023 © Bac Films
Deuxième épisode, qui fait chaud au cœur. La majorité des films de Yamanaka a donc disparu, mais pas leurs scénarios. Et voici que l’autre géant octogénaire de l’animation japonaise, Shigeyuki Hayashi, dit Rintaro (né dix-sept jours après Hayao Miyazaki !), décide de rendre hommage au maître disparu : il adapte en « animé » l’une des aventures de Jirokichi le voleur, Robin des bois japonais dont Yamanaka a tourné trois épisodes. Ancien partenaire du génial mangaka Osamu Tezuka, Rintaro est célèbre pour de nombreuses séries d’animation, comme Albator le corsaire de l’espace (1978–1979), mais aussi des longs métrages comme Galaxy express 999 (1979) ou Metropolis (2001).
Réalisé avec l’aide de Katsuhiro Otomo (auteur de Akira) et de Yoshinori Kanemori (auteur des animations de One-Punch Man et Hunter x Hunter), Nezumikozo Jirokichi (littéralement Jirokichi le voleur) est un formidable moyen métrage « ligne claire » qui imagine Sadao Yamanaka, endormi sur son fauteuil de réalisateur, en train de rêver son film : lequel est un muet narré par un benshi, ces conteurs qui animaient les salles de cinéma japonaises. Une merveille de graphisme, rythme et fantaisie. Rintaro explique : « Mon équipe et moi avons voulu rendre hommage à Yamanaka à travers ce petit court métrage d’animation en adaptant son scénario Jirokichi Edo No Maki. Sur le champ de bataille où il avait été envoyé pendant la guerre, il a écrit dans son journal intime : “Je serais un tout petit peu triste si Pauvres humains et ballons de papier était ma dernière œuvre.” Si je peux lui offrir ce petit film, je serai alors “un tout petit peu content” ». Et les spectateurs… carrément heureux.
Aurélien Ferenczi
SÉANCES
Le Pot d’un million de ryos de Sadao Yamanaka (Tange Sazen yowa: Hyakuman ryono tsubo, 1935, 1h32) précédé de Nezumikozo Jirokichi de Rintaro (2023, 24min)
Institut Lumière (Hangar) - Jeudi 19 octobre, 20h45
UGC Confluence - Vendredi 20 octobre, 15h
Cinéma Comoedia - Samedi 21 octobre, 10h45