Posté le 22.10.2023
Dès sa sortie en 1986, Le Nom de la rose de Jean-Jacques Annaud a été un film culte. Le (re)voir sur grand écran au festival Lumière est l’occasion de revenir sur l’histoire de cet immense succès international.
Le Nom de la rose, 1986 © Neue Constantin / DR
1980, l’écrivain italien et grand érudit ironique Umberto Eco (1932-2016), sort un polar médiéval, écrit comme un gag, dit-il, pour amuser ses étudiants. A sa grande surprise, le livre devient immédiatement un best-seller, l’œuvre italienne la plus lue dans le monde. Mais de quoi s’agit-il ? En 1327, dans une abbaye abritant une bibliothèque unique au monde, des moines bénédictins sont assassinés. Guillaume de Baskerville, moine franciscain, flanqué jeune novice, Adso, mènent l’enquête.
« C’était le genre de film [à suspense] qui manquait à ma panoplie », dit Jean-Jacques Annaud à propos du roman d’Eco qu’il veut adapter. Annaud jeune cinéaste star vient de réaliser trois films à succès audacieux : La Guerre du feu (1981), une histoire d’amour préhistorique, et deux comédies sarcastiques La Victoire en chantant (1976, Oscar du meilleur film étranger), et Coup de tête (1979). Entre Eco et Annaud c’est un coup de foudre amical. Au moment de sa mort, le réalisateur se souviendra de lui comme d’un immense érudit et un très bon vivant.
Pour l’adaptation, qu’Annaud qualifie de palimpseste du livre, en référence aux manuscrits médiévaux au cœur de l'intrigue, Gérard Brach, Alain Godard, Andrew Birkin et Howard Franklin, livrent une quinzaine de versions.
Il faut aussi trouver le décor, l’abbaye, véritable personnage de cette histoire. Après avoir visité quelques 300 abbayes, le choix se porte sur un monument du 12è siècle, aménagé par la suite par le légendaire directeur artistique Dante Ferretti. Ce décor fut qualifié un temps d’extérieur le plus important installé en Europe depuis Cléopâtre (1963). Une autre partie du décor est recréé à Cinecitta à Rome, dont une bibliothèque aux escaliers tout à fait extraordinaires, lieu idéal pour des séquences d’action acrobatiques. Reste à inventer un univers visuel puissant pour cette histoire hybride, à la fois érudite et fantastique horrifique. En 1986, le chef opérateur du film Tonino Delli Colli livre à ce sujet un témoignage détaillé à l’American Cinematographer. Annaud voulait une approche visuelle esthétique d’un Moyen Age romantique à la Victor Hugo, influencé par le dessin de conte à la Gustave Doré. Pour la lumière intérieure, le cinéaste veut des clairs obscurs recueillis à la Rembrandt et autre Jan Steen et Jean Latour. L’extérieur tout en folie collective s’inspirera des Brueghel et Jérôme Bosch. Quelques 3000 dessins par Feretti sont réalisés notamment pour le mobilier entièrement construit à la main en Italie. Tout est reconstitué, les costumes comme l’enluminure d’un manuscrit qui coûta une fortune, car réellement reproduite à la main et dorée à l’or fin.
Le Nom de la rose, 1986 © Neue Constantin / DR
Pour éclairer tout ça, lors d’une réunion à Cinecitta, dans les bureaux de Feretti, Annaud explique à Delli Colli qu’il va devoir inventer une lumière à l’intérieur de pièces sombres, à une époque où les fenêtres sont minuscules pour se protéger du froid de l’hiver. On met au point des lanternes très lourdes à porter pour les acteurs, et dont la lueur, pour une totale crédibilité, doit être approuvée par un historien français à Paris. L’autre grand défi : le casting. Pour Guillaume de Baskerville, Annaud veut un inconnu et c’est une superstar qui le traque pour obtenir le rôle. Dans l’émission de France Inter, La Bande originale, le cinéaste se souvient comment Sean Connery l’a appelé tous les quinze jours pour le persuader de l’engager. Annaud refuse plusieurs fois quand un jour, son producteur lui dit : « J'ai une surprise pour toi, Sean Connery vient te voir. » L’acteur écossais arrive dans le bureau du cinéaste : « je suis sidéré. Je ne pensais pas qu'il était aussi beau dans la vie. Là, je dois dire que j'ai été subjugué par son charisme. Il avait le scénario sous le bras. Il s'est assis face à moi et il m'a dit : "Listen Boy" avec sa belle voix grave... Il a ouvert le scénario et il m'a joué le rôle. Je vous jure que j'ai eu la chair de poule. Au bout de deux pages, je l’arrête. Je lui dis : "c'est merveilleux, c'est formidable." »
César du meilleur film étranger en 1987, le film gagne à sa sortie plus 77 millions de dollars à travers le monde, Le (re)voir aujourd’hui, outre constater que Connery a inventé le premier super héros intellectuel de blockbuster, c’est comprendre combien Eco était un écrivain visionnaire avec sa façon de dénoncer en creux la superstition toujours stupide, la valeur indispensable du rire et de l’humour tant redoutés par les fanatiques.
Virginie Apiou
SÉANCE DE CLÔTURE
Le Nom de la rose de Jean-Jacques Annaud (1986, 2h12)
Halle Tony Garnier - Dim 22 octobre, 14h45
MASTER CLASS
Rencontre avec Jean-Jacques Annaud
Pathé Bellecour - Dim 22 octobre, 10h30