Posté le 19.10.2023
Qui de mieux pour évoquer l’œuvre suisse du réalisateur Alain Tanner que le cinéaste mexicain Alfonso Cuarón !
Trois films d’Alain Tanner (1929–2022) : Charles mort ou vif (1969), La Salamandre (1971), et Jonas qui aura 25 ans en l’an 2000 (1976) sont projetés cette année au festival Lumière, accompagnés par un admirateur éclairé, Alfonso Cuarón. Ou comment le cinéma populaire, parfois hollywoodien, toujours humaniste, du réalisateur de Roma, de Gravity, ou des Fils de l’homme, rencontre le cinéma de révolte, suisse, resté volontairement indépendant de Tanner. Si l’on y regarde de plus près, des correspondances entre ces deux cinématographies apparaissent. D’un continent à l’autre, d’une temporalité à une autre, le travail des deux artistes se répondent.
Il y a tout d’abord l’amour du noir et blanc comme choix moderne, comme démarche politique, aussi, pour que le spectateur soit toujours plus focalisé sur le sujet, sur le statut des personnages, le mouvement. Tanner travaille comme on écrit dans un journal quotidien en noir et blanc des nouvelles profondes sur le monde. Ce sont les jeunes personnages, Pierre et Paul, de La Salamandre qui réfléchissent sur la société dans le creux d’un appartement. En 1983, Cuarteto para el Fin del Tiempo, un court-métrage d’Alfonso Cuarón, en noir et blanc, suit l’itinéraire mental d’un homme jeune, seul dans son appartement. Quand il ne réfléchit pas à sa vie, il sort. Tel Charles mort ou vif, vieil homme révolté et curieux chez Tanner, ce jeune homme imaginé par Cuarón, marche dans la ville, pour regarder dehors.
Prendre la route, entamer avec courage son chemin à la recherche des autres, en rupture totale avec son milieu comme Charles le grand bourgeois, ou Rosemonde, la jeune ouvrière de La Salamandre, c’est se montrer solidaire du peuple humain. Exactement comme la famille aisée de Roma fait front commun avec Cleo la jeune domestique. Sortir, chez Tanner, c’est engager la conversation avec le citadin, le professeur, la jeune caissière de Jonas, l’agriculteur militant, c’est montrer qu’on existe en diffusant ses opinions. Cette solidarité de toutes les fragilités humaines se retrouve aussi dans Les Fils de l’homme.
La solidarité c’est aussi l’amour, être vivant. Le cinéma d’Alain Tanner prône un amour politique. Quand certains mots, comme il est dit dans Jonas… « ont perdu de leur sens : récession, inflation », il faut s’aimer. Les héros du cinéaste suisse suivent naturellement, avec tendresse, et vitalité corporelle leurs inclinations, parsemant La Salamandre, Jonas… de séquences où l’on s’amuse et rit beaucoup. Les jeunes héros d’Y tu Mama Tambien de Cuarón, possèdent aussi cette liberté d’aimer. Il faut vivre sa vie en pleine conscience, toute fille et homme de la rue a le droit de revendiquer, de penser son statut de citoyen, montre Tanner à travers un cinéma sans plans de coupe, marque pour lui du cinéma de gauche.
« Jonas qui aura 25 ans en l’an 2000 est un film qui m'a beaucoup influencé. Je n'ai qu’une seule affiche de film chez moi, c’est celle de Jonas. Et mon fils s'appelle Jonas. Il y a beaucoup de la Nouvelle Vague française dans ce film. Par ailleurs, j'avais déjà vu la trilogie de Tanner : Charles, mort ou vif, Le Retour d’Afrique et La Salamandre. J'ai beaucoup aimé sa façon de traiter avec un certain humour la question de l'homme dans la société. Jonas est un testament de cette trilogie : ce film est d'une part absolument généreux et d'autre part très triste, très résigné et très vivifiant. Un ami commun de Tanner m'a dit qu'il avait un petit post-it dans sa maison qui disait "Toute utopie commence par la réalité", et je pense que cela définit en grande partie son cinéma. »
Alfonso Cuarón, festival Lumière 2018
Virginie Apiou
Séances présentées par Alfonso Cuarón :
Charles mort ou vif d’Alain Tanner (1969, 1h33)
Institut Lumière (Hangar) - Jeudi 19 octobre à 14h45
Lumière Terreaux - Samedi 21 octobre à 18h
La Salamandre d’Alain Tanner (1971, 2h, VFSTA)
Lumière Terreaux - Vendredi 20 octobre à 16h30
Jonas qui aura 25 ans en l’an 2000 d’Alain Tanner (1976, 1h55, VFSTA)
Cinéma Comœdia - Samedi 21 octobre à 17h