Posté le 20.10.2023
En quelques coups de sabre, le cinéaste japonais, Kenji Misumi a livré sa version du chanbara, genre cinématographique très codifié entre guerrier solitaire et sens de l’honneur intraitable. Dans sa revisite, la nature humaine est plus incertaine, et l’intimité de la vie, comme celle du combat, est filmée en écran extra large.
La nuit Kenji Misumi au festival Lumière commence par une cavalcade rapide avec un combattant pas comme les autres, Zatoichi, le masseur aveugle (1962). Dans un cadre ample, Zatoichi, sérieux et tout à fait séduisant, abat ses ennemis de façon d’autant plus implacable qu’il ne peut les voir. Misumi fait du sabre de son héros l’incarnation de son esprit. Tel un maître Jedi avant l’heure, Zatoichi en état d’alerte permanent, ressent tout sans avoir besoin de voir. Misumi le filme toujours à découvert, prêt à tuer, mais aussi capable d’être tendre.
Le cinéma de Misumi est un cinéma aussi surprenant que des coups de lame venus de nulle part. Enchainer dans la nuit avec Tuer (1962) c’est recevoir en gros plan et au ralenti, le combat à mort entre deux femmes. La lame ici n’est plus réparatrice de tort, mais le départ d’une vengeance qui engloutit tout, au milieu de décors quasi fantastiques, sur une musique hypnotique. La vision des femmes chez Misumi est remarquable et multiple. Ce sont des filles courageuses qui n’ont strictement aucun choix que de survivre dans un monde d’hommes, eux-mêmes bien souvent pris dans un engrenage de traditions patriarcales stériles. Tuer recèle une des plus étonnantes scènes de combat inventive avec nudité dévoilée, de cette nuit du sabre.
Tuer, 1962 © The Jokers Films
En 1964, Misumi quitte l’ère Edo, ère féodale mythique japonaise, pour réaliser Le Sabre. On y retrouve un thème qui innerve toute cette nuit Misumi : les jeunes hommes sous l’influence d’un maître. Comme l’histoire se déroule à une époque contemporaine, les combats sont essentiellement idéologiques. Ce que recherchent ici les jeunes hommes c’est la pureté, l’esprit du samouraï, alors que les jeunes femmes déraillent à force de ne pas être considérées. Les séquences confession crue d’une fille à lunettes noires sont aussi fortes que celles de combats.
Rien de mieux pour terminer cette nuit que La Lame diabolique (1965). Ici le sabre est uniquement symbole de mort. Le jeune héros, prodige du sabre et du jardinage (!) hésite entre la violence transmise par ses pairs qu’il distribue en oubliant tout idéal de justice, et une jeune femme. C’est là tout le sens puissant du romanesque autant visuel que dialogué de Kenji Misumi.
Virginie Apiou