Posté le 14.10.2023
Grand Prix au récent Festival de Cannes, La Zone d'intérêt, regard sidérant sur la Shoah, confirme l'importance et la singularité du cinéaste anglais.
Un cinéaste rare. Quatre films seulement en vingt-trois ans. Régulièrement, après un long processus d’élaboration (Under the skin lui a pris dix ans...) déboule un film ovni qui se tient à l’écart des conventions narratives et de la linéarité du récit pour privilégier une atmosphère singulière et façonner une expérience unique pour les spectateurs. Le paradoxe est que ce cinéaste discret, voire indéchiffrable, né à Londres en 1965, a fait ses classes via des activités purement commerciales, la publicité et de nombreux clips vidéo, expérimentant malgré les contraintes. Il a ainsi filmé Nick Cave dans un noir et blanc somptueux (Into my arms en 1997) ou Jack White (« un vrai acteur, il me fait penser à Orson Welles », dixit le cinéaste) affrontant Alison Mosshart dans un dérangeant duel à la mitraillette (Treat me like your mother, 2009).
Photo by LOIC VENANCE / AFP
Après Sexy Beast (2000) puis Birth (2004), Jonathan Glazer signe le troublant Under The Skin (2014), où il suit Scarlett Johansson dans les rues d’Edimbourg, jeune femme aussi vénéneuse qu’obsessionnelle, prédatrice extraterrestre sans affect toute dévouée à attirer dans ses filets, un magma noir visqueux perdu dans l’espace-temps, de jeunes hommes fascinés par sa plastique pulpeuse et glaciale. Alors que l’étrange protagoniste expérimentait ses premières émotions, le cinéaste s’interrogeait sur les relations entre le corps et l’âme.
Où en sommes-nous de notre humanité face à l’inconcevable ? C'est la question que semble se poser le cinéaste, qui réalise avec La Zone d’intérêt l’adaptation très libre du roman éponyme de Martin Amis paru en 2014. Mais comme l’oeuvre de Michael Faber dont Under The Skin est adapté, le livre choisi offre d’abord au cinéaste un prétexte pour décaler le point de vue et donner ici sa propre vision des camps de la mort, dont la présence hors champ n’est livrée au spectateur qu’au travers d’un sidérant travail sonore. La Zone d’intérêt suit le quotidien d’une riche famille allemande dont la maison est mitoyenne avec le camp de concentration d’Auschwitz. Tandis que dans la bâtisse entourée de jardins, le commandant du camp et sa femme jouissent d’un présent radieux arraché à la fortune des victimes de l’Holocauste, des millions de Juifs d’Europe périssent à leur porte.
Le cinéaste explique avoir été saisi par des images d’archives de la Seconde Guerre mondiale montrant des voisins des camps de la mort « prendre du plaisir à regarder ce spectacle ». « J’ai commencé à me demander comment il était possible de rester là sans rien faire », a souligné Jonathan Glazer, cherchant à toucher du doigt la vérité de l’Holocauste.
Benoit Pavan
MASTER CLASS
Rencontre avec Jonathan Glazer
Pathé Bellecour - Dimanche 15 octobre à 15h
SÉANCES
La Zone d’intérêt de Jonathan Glazer (The Zone of Interest, 2023, 1h46)
Institut Lumière - Dimanche 15 octobre à 11h30
Pathé Bellecour - Dimanche 15 octobre à 20h15