Posté le 14.10.2023
Ancien patron de la fiction sur Canal+, aujourd’hui producteur indépendant, Fabrice de la Patellière vient présenter les films de son père, Denys (1921–2013), que Michel Audiard surnommait affectueusement « le père Pat’ ». Il nous livre les clés d’une œuvre sous-estimée.
Un taxi pour Tobrouk
Quel est votre film préféré de votre père ?
Fabrice de la Patellière : Un taxi pour Tobrouk. C’est son film le plus populaire et je le trouve très réussi. J'ai évidemment un rapport intime avec le cinéma de mon père qui était quelqu'un de très humble et très pudique. Il ne parlait pas de son cinéma. En revanche, il parlait de ses tournages. Celui du Taxi avait été épique, compliqué, un tournage dont il arrivait à rire des années après, mais qui sur le moment avait été difficile. Gaumont ne croyait pas au film. Alain Poiré, le producteur, voulait un film de guerre classique. Et mon père a réalisé un film différent. Non pas antimilitariste comme il a souvent été écrit. Mon père n'était pas antimilitariste, il était fils d'officier, il avait préparé Saint-Cyr. Mais, un film anti-guerre, oui. Gaumont n’en attendait donc pas grand-chose et l’avait sorti assez modestement. Sauf que dès le premier jour, dès la première séance, il y a eu des files d'attente énormes et le film a été un grand succès. Je crois que mon père aimait ce film parce qu’il avait un parfum de revanche.
C’était aussi un film personnel parce qu’il avait lui-même fait la guerre...
Fabrice de la Patellière : Mon père était né en 1921, dans une famille de petite noblesse de province très conservatrice, très à droite, très catholique. Et puis arrive la guerre. Tout s'est effondré pour lui comme pour beaucoup de monde. Il a été profondément déçu, cela l'a changé. En plus, à titre personnel, la guerre lui a pris ses deux frères et son propre père en est mort de chagrin.
Vous êtes né en 1968, votre père arrête le cinéma cinq ans plus tard pour se consacrer uniquement à la télévision. En concevait-il des regrets ?
Fabrice de la Patellière : En effet, je suis né l’année du Tatoué, après lequel mon père ne tournera plus que trois films pour le grand écran. Il n'a pas renoncé au cinéma d’un coup, il a continué à essayer de monter des films, sans y arriver. Il avait notamment un projet sur lequel il a beaucoup travaillé, un film sur Victor Hugo avec Jean Gabin. Quand les portes du cinéma se referment, il est encore un jeune quinquagénaire, alors, des regrets, il en a eu certainement mais, encore une fois, sans amertume. C’était quelqu'un de très positif, et, à la fin de sa vie, il nous disait à quel point il avait été heureux de son parcours et de la chance qu’il avait eue. Le cinéma, il le voyait comme un spectacle populaire. Il aimait l'idée que les gens se retrouvent dans une salle pour vivre ensemble une histoire forte, bien mise en scène, bien écrite, avec des bons dialogues dits par de bons acteurs. Une vision assez artisanale. Il ne se considérait pas comme un auteur. Je pense que pour lui, les auteurs, c'étaient les écrivains. Il avait une vénération pour la littérature.
Votre père a beaucoup tourné d’adaptations littéraires...
Fabrice de la Patellière : Cela traduit son rapport étroit à la littérature. Mon père, je l'ai toujours vu lire. Son grand auteur, c'était Proust. Il n’a cessé de lire et relire la Recherche toute sa vie. Bien sûr, il allait au cinéma, mais ce n'était pas un cinéphile. En revanche, il était un vrai lecteur. Son premier film est une adaptation : il accepte de porter à l'écran un roman de Michel de Saint-Pierre, Les Aristocrates, que devait mettre en scène un autre cinéaste et finalement Pierre Fresnay, qu’il a connu en étant assistant, l’impose comme réalisateur.
Un récit sur l’aristocratie de province qui résonne pour lui de façon autobiographique...
Fabrice de la Patellière : Oui, de toute façon, il y a des thèmes dans le cinéma de mon père, même si c'est souvent assez dissimulé. Mais dans beaucoup de ses films, par exemple, dont Les Aristocrates, bien sûr, il y a une figure de père assez écrasante. Il y a une relation conflictuelle entre le père et ses fils, parfois avec une réconciliation, parfois pas... Et l'argent est omniprésent, aussi. Il y a beaucoup de films dans lesquels il y a une question d'héritage, que l’on cherche à s’approprier ou que l’on craint de dilapider.
Ce qui, selon vous, à quelque chose à voir avec son propre père ?
Fabrice de la Patellière : Certainement. Il nous a énormément parlé de son père, très peu de sa mère, qui était une femme formidable, je crois, mais une personnalité effacée. Ses parents avaient eu sept enfants, mon père était le dernier. Son père, lui, était une personnalité très forte, il était très impressionnant. C’était donc un ancien militaire qui avait quitté l'armée ; il était rentier au début de sa vie, puis avait perdu sa petite fortune et celle de sa femme en faisant des affaires malheureuses, et il était devenu prof de maths à La Rochelle. Il était assez rigide, de droite, très catholique, anti- Dreyfusard. Sur son lit de mort, sa dernière conversation avec son cadet porte sur Dreyfus, dont il restait persuadé de la culpabilité, parce que l'armée ne pouvait pas se tromper.
Les cinéastes de la Nouvelle Vague n‘ont pas été tendres avec votre père. Pour lui, était-ce une blessure ?
Fabrice de la Patellière : Il en avait souffert, évidemment. Mais il leur avait pardonné. Cela fait partie des choses dont on a parlé, lui et moi. Je pense que ce dont il a pu souffrir, ce qui l’a étonné, c'était la violence, le côté procès. Mon père était un homme qui n'aimait pas le tribunal, la figure du juge. Je pense que cela vient de l'épuration, une période qu'il avait traversée et détestée et qui l’avait profondément marqué. La critique lui semblait naturelle et normale, mais pas avec cette violence ni avec le vocabulaire de la morale.
Des années plus tard, dans les années 70, je crois, il s’était retrouvé non loin de Truffaut dans un café sur les Champs-Élysées et celui-ci était venu s’excuser. Non pas en reniant ses opinions, mais en disant à mon père que tout ce qu’il avait écrit, c’était avant de commencer à faire des films, avant de savoir ce que c'était qu'un tournage et toutes les difficultés qui vont avec et qu'il regrettait un certain nombre de choses. Mon père en avait été très touché.
Propos recueillis par Aurélien Ferenczi
LES SÉANCES DU WEEK-END
Les Aristocrates de Denys de La Patellière (1955, 1h40)
Institut Lumière (Hangar) - Samedi 14 octobre à 10h45
Rue des Prairies de Denys de La Patellière (1959, 1h31)
Pathé Bellecour - Dimanche 15 octobre à 11h15
Le Voyage du père de Denys de La Patellière (1966, 1h25)
Pathé Bellecour - Dimanche 15 octobre à 14h
Un taxi pour Tobrouk de Denys de La Patellière (1961, 1h33, VFSTA)
UGC Confluence - Dimanche 15 octobre à 13h30
Le Bateau d’Émile de Denys de La Patellière (1962, 1h41)
UGC Confluence - Dimanche 15 octobre à 16h30