Posté le 14.10.2023
Il reste au moins un cinéaste humaniste à Hollywood : gros plan sur Alexander Payne qui offre au festival Lumière son nouveau film très attendu, Winter break.
Selon la critique américaine Manohla Dargis, il est le « satiriste social depuis doué qui soit arrivé sur les écrans depuis Preston Sturges ». Le compliment doit toucher Alexander Payne, cinéaste ultra cinéphile qui compte à son actif huit longs-métrages et deux Oscars du meilleur scénario (pour Sideways en 2005 et The Descendants en 2012). On parle ici de quelqu’un aux goûts éclectiques qui vénère Anthony Mann, qui s’est battu quand il était juré à Cannes pour qu’Amour, de Haneke, soit récompensé ou dont le chef opérateur, pour les trois premiers films, était Jim Glennon, fils du directeur de la photo de La Chevauchée fantastique, et prompt à raconter les souvenirs fordiens de son père.
Mais pour son propre compte, Alexander Payne regarderait volontiers davantage du côté des années soixante-dix : « Prenez Sidney Lumet, bien sûr, il lui arrivait de tourner Le Crime de l'Orient Express. Mais lorsqu'il a fait Un après-midi de chien, il a déclaré qu'il n'aspirait pas au réalisme, mais au naturalisme. Il a dit à son décorateur et à son costumier : "Pas de palette de couleurs. Nous n'allons pas peindre les murs. Tous les acteurs doivent porter leurs propres vêtements. Nous allons juste sortir et faire le film". Et c'est une très belle direction à donner à son équipe créative. Ce qui était très beau dans les films des années 70, c'est que la vie filmée reflétait plus que jamais la vie telle qu'elle était vécue par les citoyens du pays. La qualité des films était jugée en fonction de leur proximité avec la vie réelle, et non de leur éloignement de celle-ci. »
Né en 1961, Alexander Payne a grandi dans une famille d’origine grecque (son grand-père paternel choisit d’américaniser Papadopoulos en Payne…) à Omaha, dans le Nebraska, un état « ordinaire » dans lequel il situera plusieurs de ses films aux personnages « ordinaires ». Après des études d’histoire et d’espagnol, qui l’ont conduit notamment à vivre à Salamanque puis à Medellín, il suit les cours de cinéma à UCLA, l’université de Californie, et se fait remarquer par un film de fin d’études abouti et ironique, le moyen métrage The Passion of Martin (1991, visible sur YouTube), qui lui permet d’entrer chez Universal. Il y développe le scénario de ce qui sera son troisième film Monsieur Schmidt, mais passe finalement à la mise en scène avec une satire d’une noirceur absolue : dans Citizen Ruth (1996), inspiré d’une histoire vraie, Laura Dern incarne une junkie dont la grossesse est récupérée tour à tour par les pro et anti-avortement, et le ton évoque l’ironie de Billy Wilder, par exemple dans Le Gouffre aux chimères. La dissection des excès de l’american way of life ce poursuit avec L’Arriviste (1999), chronique savoureuse d’une élection étudiante au cœur d’un lycée d’Omaha.
Les films qui suivent l’imposent définitivement parmi les grands cinéastes américains du moment : Monsieur Schmidt (2002) avec Jack Nicholson en retraité misanthrope, la délicieuse comédie oenophile Sideways (2004), la touchante « dramédie » familiale The Descendants (2011), avec George Clooney, Nebraska (2013), qui vaut à Bruce Dern (le père de Laura) le prix d’interprétation au Festival de Cannes. Après Downsizing (2017), un moment de doute le voit décliner plusieurs projets (notamment un remake du Festin de Babette) avant un retour remarqué avec Winter break (2023) qui fait un tabac au festival de Telluride, évoquant pour Variety « un classique perdu des années soixante-dix ».
Alexander Payne a souvent coécrit ses scénarios, notamment avec son complice Jim Taylor (ils ont même rédigé ensemble une version de Jurassic Park III, dont selon eux, il ne reste pas grand-chose dans le film terminé). « J'ai l'impression que j'écris parce que je désespère d'avoir quelque chose à mettre en scène. J'ai une formation de réalisateur. L'acte de réaliser m'intéresse. Mais je n'ai pas accès au type de scénarios que je voudrais réaliser sans les écrire. Nous n'avons pas Robert Towne. Nous n'avons pas Waldo Salt. Nous n'avons pas ces grands scénaristes. Où sont-ils ? Ils travaillent à la télévision en ce moment, je crois. Je dois donc faire ces choses moi-même. D'une certaine manière, je suis heureux d'être forcé d'écrire, car cela m'oblige à regarder à l'intérieur de moi et à me creuser les méninges pour trouver ce que je pense être réalisable, ce qui devient mon propre style. Mais je viens de réaliser un scénario que je n'ai pas écrit [Winter break a été écrit par un scénariste de série, David Hemingson] et j'ai eu beaucoup de plaisir à le faire. Et je me suis rendu compte que j'étais capable de le rendre tout aussi personnel que les choses que j'ai créées. »
Aurélien Ferenczi
MASTER CLASS
Rencontre avec Alexander Payne
Pathé Bellecour - Dimanche 15 octobre à 11h
SÉANCES
The Descendants d’Alexander Payne (2011, 1h54)
Pathé Bellecour - Dimanche 15 octobre, 18h15
Institut Lumière (Villa) - Mardi 17 octobre, 19h
Sideways d’Alexander Payne (2004, 2h06)
Lumière Bellecour - Lundi 16 octobre à 17h15
Cinéma Opéra - Jeudi 19 octobre à 14h30
Nebraska d’Alexander Payne (2013, 1h55)
UGC Confluence - Lundi 16 octobre, 20h15
AVANT-PREMIÈRE
Winter Break d’Alexander Payne (The Holdovers, 2023, 2h13)
Institut Lumière (Hangar) - Dimanche 15 octobre, 19h15